LES PIÈGES de la vertu...
En 2024, plus de 40 % de l'électricité produite en Europe - chiffre record ! - était propre, c'est-à-dire provenant de sources renouvelables (vent, soleil, hydraulique, biomasse, etc.). On ne compte plus les bons élèves, tels le Portugal (plus de 60 % d'électricité renouvelable), l'Allemagne (53 %) ou l'Espagne (50 %). Mais cette électricité vertueuse a un défaut : elle est capricieuse. Elle dépend d'éléments incontrôlables. Personne ne peut forcer le soleil à briller ni le vent à souffler. Or, comme on ne sait pas stocker l'énergie à grande échelle, les périodes d'abondance (où le prix du kilowatt est négatif) succèdent aux périodes de disette (où son prix est multiplié par dix). Une imprévisibilité qui provoque des tempêtes sur le marché européen de l'électricité, où tous les pays sont interconnectés.
Ainsi, en Allemagne, pays qui a fermé ses trois dernières centrales nucléaires en avril 2023, les premiers jours de novembre et de décembre ont été caractérisés par une absence totale de vent et un soleil en berne - les Allemands ont inventé un mot pour décrire cette situation : « Dunkelflaute » (« sombre marasme »). En conséquence de quoi il a manqué outre-Rhin jusqu'à 17 GW d'électricité - l'équivalent de la production de 15 réacteurs nucléaires. Le prix de l'électricité, établi à 80 euros le mégawattheure, en moyenne, y a explosé à 936 euros le 12 décembre, entraînant les autres tarifs européens dans son sillage. Inversement, l'Allemagne a connu, en 2024, dix-neuf jours de surproduction électrique (contre douze en 2023), provoquant plus de deux semaines de prix négatifs sur les marchés.
Et ça ne va pas s'arranger : quand les énergies renouvelables représentaient 5 % de la production d'électricité, il était facile de composer avec les caprices de la météo. À 50 % - voire, dans un proche avenir, 75 % ou plus -, ça devient plus ardu. « Il serait vital de développer le stockage de masse des excédents d'électricité pour les redistribuer quand on en manque, mais, hélas, on ne sait pas le faire », indique au « Canard » Dominique Jamme, le directeur général de la Commission de régulation de l'énergie. En Allemagne, les capacités de stockage correspondent à une heure et demie de consommation électrique du pays. Alors, faute de mieux, on y importe du gaz de schiste américain ou de l'électricité nucléaire française (qu'officiellement on exècre), et on fait tourner les vieilles centrales thermiques.
Et ce n'est pas fini : le gouvernement allemand vient d'adopter un plan de construction, d'ici à 2035, de centrales au gaz d'une capacité de 10,5 GW (l'équivalent d'une douzaine de réacteurs nucléaires).
Ce n'est qu'un début : la 3e programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), en discussion au Parlement européen, prévoit un doublement de la consommation d'électricité d'ici à 2050. Le beau rêve d'une énergie 100 % propre et renouvelable n'est pas pour après-demain.
Hervé Martin
https://www.lecanardenchaine.fr/economie/50047-leurope-sous-electricite-alternative